Les fantômes furieux de Falloujah/David Bellavia
1/ L’AUTEUR :
Le centre de doctrine d’emploi des forces (CDEF) est un organisme extérieur directement subordonné au chef d’état-major de l’armée de terre (CEMAT). Le CDEF élabore la doctrine d’emploi des forces de l’armée de terre, visant à garantir leur meilleure performance en opération. À ce titre, il conçoit, fait appliquer valide et fait évoluer les documents d’emploi des forces, les procédures, les méthodes et les techniques d’état-major. Dans le prolongement de ces travaux et selon les modalités précisées par ailleurs, le CDEF participe à la mise au point adaptée aux besoins actuels et futurs de l’organisation des états-majors et des unités, et à la définition des besoins en équipement. Il exerce également des attributions, particulièrement en matière de recherche opérationnelle et de simulation, ainsi que de documentation. En matière de simulation, il participe à l’évolution technique et à l’adaptation du centre de préparation des forces, du centre d’entraînement au combat et du centre d’entraînement aux actions en zone urbaine. Il réalise les études techniques nécessaires à leur évolution en étroite collaboration avec le CFAT et le CFLT qui lui expriment leurs besoins et établit les directives correspondantes.
2/ SYNTHÈSE DE L’OUVRAGE :
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Introduction
L’objet de ce RETEX est la prise du bastion de Falloujah au mois de novembre 2004 par les forces américaines. Le but de ce RETEX est l’analyse de la « bataille la plus violente livrée par les troupes américaines depuis HUE en 1968 » qualifiée de « victoire incontestable ».
L’ouvrage est composé de trois parties principales : le bilan des enseignements, les enseignements généraux et l’étude par fonctions opérationnelles.
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Développement
Bilan des enseignements :
En une centaine de phrases ou paragraphes, l’auteur a extrait du RETEX les enseignements les plus importants, qui demandent soit réflexion ou analyse complémentaires.
Les enseignements généraux :
Avant de se lancer dans la deuxième bataille de Falloujah, les Américains tirent les enseignements de la bataille d’avril et préparent le terrain en organisant pendant des mois des opérations autour et au-dessus de la ville avant de la prendre d’assaut.
La première phase a lieu dès juillet en exerçant une pression continue sur l’adversaire par des raids aériens, une préparation logistique minutieuse et d’envergure, des opérations de diversion ainsi qu’un bouclage méthodique de la ville. Pendant près de quatre mois, les troupes américaines vont tenir un siège presque exclusivement aérien, combinant les capacités de surveillance des drones et les tirs de précision. Cette phase a bien sûr aussi pour but d’affaiblir la rébellion et faire fuir la population. L’inconvénient de ce plan est qu’il supprime toute surprise, l’effort va donc porter sur la surprise tactique en jouant sur l’axe principal et la date exacte de l’assaut.
La phase deux est la phase préliminaire à l’assaut et ne dure qu’une seule journée, le 7 novembre. Elle consiste en une saisie de points clefs à la périphérie Est de Falloujah, la prise de l’hôpital général et de deux ponts situés sur la périphérie Ouest de la ville. Il s’agit ensuite de poursuivre les manœuvres de déception sur l’axe d’attaque de la division qui sera au Nord mais aussi sur sa date puisque les combats ne commenceront que la nuit suivante. Le commandement américain, en jouant sur les mots, persuade les journalistes que l’offensive a lieu le 7 novembre au lieu du 8. Pendant une journée complète, les rebelles sont en attente sur leurs positions et sont frappés par l’artillerie et les raids aériens. Cette manœuvre de diversion, inspirée de celle employée lors de la prise d’Aix-la-Chapelle en octobre 1944, est une réussite. Les Américains ont profité au maximum de leur supériorité optronique pendant la nuit et de la moindre efficacité des tirs ennemis. Pour continuer à bénéficier de ces avantages, toute l’électricité de la ville est coupée à 17 heures.
La troisième phase débute le soir du 8 novembre à 19 heures avec l’entrée dans la ville du RCT-1 par l’Ouest tandis que le RCT-7 prend place au Nord. Les blindés lourds, M2/M3 Bradley et M1 Abrams, presque invulnérables aux armes des rebelles, servent de fer de lance en pénétrant en profondeur dans le dispositif ennemi jusqu’à la ligne FRAN au centre de la ville. La vitesse moyenne de progression dans cette première nuit et début de matinée est de 300 mètres par heure, l’accent n’est donc pas mis sur la vitesse mais sur la protection offerte par le blindage et sur la puissance de feu. Pas moins de 13 GTIA sont réunis autour de la ville ! Il apparaît que ceux qui ont essuyé le moins de pertes sont ceux qui ont progressé le moins rapidement en avançant de ligne en ligne après des préparations d’artillerie. Bloc par bloc, les troupes américaines vont avancer pour enfin toutes atteindre la ligne FRAN le 11 novembre avec une journée d’avance sur la planification. Après une courte préparation d’artillerie et frappes aériennes, cette ligne est franchie dans la nuit du 11 au 12 novembre. La résistance est sévère mais finit par craquer dans la soirée du 12 et les derniers moudjahidin sont détruits le 15 novembre. Tous les bataillons américains sont désormais sur la ligne JENNA au Sud de la ville. Le contrôle de Falloujah est complet mais une nouvelle forme de combat commence le 16 avec le nettoyage des multiples poches de résistance. La ville est donc partagée en secteur de GTIA, eux-mêmes divisés en 86 sous secteurs qu’il faut nettoyer de tout ennemi, arme ou piège. Les GTIA sont réduits à quatre pour assurer cette mission prévue durer un mois. Le 23 décembre, la ville est rouverte à la population civile.
Dans l’ensemble des combats à Falloujah, les Américains ont eu 151 tués et plus de 1000 blessés pour conquérir un carré de cinq kilomètres sur cinq. Même si ces chiffres sont cruels, ils restent raisonnables en regard des pertes adverses. Les Marines ont réussi là où les Russes avaient complètement échoué en 1995, justifiant l’effort effectué en matière de combat urbain depuis les années 1990.
Enfin, si la prise de la ville est une réussite, force est de constater que les Américains ont du mal à gérer les populations réfugiées et la reconstruction tarde à produire des effets tangibles.
Etude par fonction opérationnelle :
6 fonctions opérationnelles sont étudiées dans le RETEX.
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Commandement : Le combat urbain et les possibilités des nouvelles technologies ont développé les capacités et les responsabilités de commandement le plus bas, notamment grâce à la numérisation. Tous les chefs de section à Falloujah commandaient des détachements interarmes, impliquant un entraînement rigoureux, intensif et réaliste y compris pour les sous-officiers adjoints amenés à les remplacer dans le commandement.
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Systèmes d’information et de commandement : La difficulté des liaisons notamment en transmissions a été un problème majeur à la manœuvre urbaine. En effet, dès que les vues directes s’estompaient, les transmissions par ondes étaient limitées. Des relais ont dû être installés mais, du fait des menaces d’infiltration, ceux-ci ont dû être protégés. D’autre part, le caractère souvent fugitif des combats qui impose des réactions rapides pénalise le combat débarqué en matière de système de commandement numérisé. En revanche, ces systèmes facilitent le combat embarqué en milieu urbain et autorisent des modes d’action audacieux pour les sous-groupements blindés.
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Renseignement : L’emploi des drones, malgré leur perfectibilité de résolution pour l’identification humaine et leur manque de précision pour effectuer des tirs d’artillerie, a prouvé leur efficacité. Leur capacité à voir au-delà des obstacles, sans risquer des vies humaines, est particulièrement précieuse au combat.
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Logistique : Le principal problème logistique a été la gestion et la protection des flux entre le premier et le deuxième échelon. C’est pourquoi ces ravitaillements et le soutien sanitaire peuvent difficilement se concevoir autrement qu’en véhicule blindé. De plus, la formation de tous les Marines aux gestes de premiers secours a permis de sauver de nombreuses vies. Enfin, la présence d’une cellule de soutien psychologique est d’une grande utilité dans un combat urbain de longue durée face à un adversaire fanatisé.
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Contact : Pour le combat embarqué, l’appui mutuel en colonne double est à privilégier ainsi que le combat toutes tapes fermées à condition de disposer d’une vision tous azimuts. La combinaison M1 Abrams et Bradley est un bon compromis pour avancer dans des axes de progression peu larges. Même si la mitrailleuse de bord se révèle particulièrement adaptée à la contre-guérilla urbaine et apporte un surplus d’efficacité considérable, tout l’équipage d’un engin blindé doit posséder un fusil d’assaut.En ce qui concerne le combat débarqué, des ordres rapides et clairs doivent être donnés soit à la voix, soit au moyen de postes radio individuels. La méthode de reconnaissance des bâtiments « bas vers haut » et plutôt en force a été la plus utilisée. Le renfort de moyens de brèche au sein du groupe est une plus-value. Enfin, la coopération infanterie blindée est indéniable, car l’infanterie profite des capacités d’observation du char et protège ses angles morts.
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Combat indirect : L’artillerie est employée de façon classique pour préparer l’offensive en organisant des barrages roulants dont le seul inconvénient est de créer des ruines. Les tirs d’opportunité sont exécutés presque toujours à moins de 600 m des lignes amies. Les bâtiments servent de masques de protection mais il faut néanmoins que ces tirs soient d’une grande précision. Certains officiers ont regretté l’absence d’automoteurs au contact qui auraient pu être utilisés en tir direct. Les mortiers ont aussi montré leur rapidité mais se sont révélés inefficaces pour percer les bâtiments. L’usage du tir vertical, très efficace en milieu cloisonné, peut cependant perturber les actions aériennes et nécessitent une bonne coordination 3D.L’action de l’artillerie a été complétée par celle de l’armée de l’air remarquable d’efficacité de nuit, car plus souple d’emploi que les hélicoptères. Ceux-ci ont fourni une observation permanente et précise mais ont été peu engagés au-dessus de la ville du fait de leur vulnérabilité
3/ ANALYSE – AVIS :
« La plus grosse surprise à Falloujah restera que, même dans une armée de haute technologie, tout dépend au bout du compte de quatre ou cinq hommes qui entrent dans une maison pour la nettoyer » (Major Milburn). Cette phrase résume une opération dont l’étude montre à la fois les aspects novateurs liés au milieu urbain et les aspects particuliers de ce genre de combat.
La Division Recherche et Retour d’Expérience tire des enseignements des opérations françaises mais aussi étrangères. En l’occurrence, le combat en zone urbaine face à un adversaire organisé et fanatisé qui s’accroche au terrain.
L’intérêt majeur de ce RETEX est sans doute la grande faculté d’adaptation demandée aux forces américaines. Cette faculté d’adaptation concerne à la fois les hommes et les moyens. De nombreux parallèles sont faits avec l’armée française en terme d’équipements, de formation, d’emploi des moyens et de tactique. L’armée française, semble-t-il, possède les moyens pour affronter ce genre de combat mais doit impérativement prévoir leur adaptation comme l’armée américaine a dû le faire. En outre, cette adaptation doit être en perpétuelle évolution, c’est pourquoi un intérêt tout particulier est porté au CENZUB mais aussi aux évolutions des équipements (une nouvelle tenue de combat sera bientôt livrée afin d’être compatible avec le système FELIN).
On peut noter un certain nombre de domaines comme le droit des conflits armés (des objectifs pourtant protégés sont quand même détruits, car utilisés comme couverture par les insurgés) qui doivent préparer les esprits sans être doctrinaire. Il s’agit plutôt de réfléchir sur des cas concrets du point de vue du commandement et du sens éthique.
En outre, un autre aspect est souvent souligné : la culture militaire. Cette culture a façonné l’esprit des chefs militaires américains qui mettent en relief des analogies historiques dans leur RETEX mais surtout qui s’inspirent de ces exemples passés afin de préparer leur combat.
L’étude de ce RETEX est très intéressante, car elle évoque l’ensemble des fonctions opérationnelles en insistant sur le niveau de la compagnie. Cette étude est, par ailleurs, précieuse pour notre armée à l’aube de l’engagement grandissant en Afghanistan (OMLT). C’est pourquoi l’armée de terre française est soucieuse de s’y préparer comme le montre la montée en puissance du CENZUB, la création ou la rénovation des villages de combat et les exercices urbains en terrain libre dans les villes.
Enfin, ce RETEX a sans doute permis à l’armée de terre d’orienter sa doctrine tardive sur le combat ZUB et en particulier le CDEF dans la rédaction du TTA 980 (additif) concernant l’emploi des forces terrestres en zone urbaine.