Interview d’Anne Clotis, saint-cyrienne au profil atypique

– Saint-Cyr
– Pilote d’hélicoptère de combat…
– Hôtellerie de luxe.

Un parcours atypique qui te donne d’autant plus d’expérience et d’ouverture d’esprit pour exercer un management de proximité.

Rodolphe: Je suis heureux de te revoir et de faire cette interview de toi. Peux-tu décrire un peu plus précisément quelles sont tes attributions actuelles et les enjeux de ton job?

Anne Clotis: Bonjour Rodolphe, et ravie de te retrouver via ton blog mon-capitaine.com!
J’occupe actuellement une fonction de cadre hôtelier, plus précisément de directeur hébergement. J’encadre les différents services qui composent un hôtel 5*. Si l’on se met dans le cadre du parcours client, j’interviens de l’amont du séjour de celui-ci (service des réservations), à son arrivée sur le site avec les différents métiers de l’accueil (réception, conciergerie , relation clientèle) jusqu’ à la partie plus orientée « production » (service des étages). Mon rôle est d’encadrer des chefs de service sur ces différentes structures afin d’obtenir le meilleur d’eux-mêmes. L’objectif pour moi est d’apporter le meilleur service au client, tout en générant le maximum de chiffre d’affaire hébergement et en maîtrisant parfaitement la gestion financière de mon département. J’encadre jusqu’à une quarantaine de personnes en haute saison, au plus fort de l’effectif. Ces collaborateurs, que l’on nomme « ambassadeurs » chez Sofitel ont tous des profils différents, hôteliers ou autre, diplômés jusqu’à Bac+5 ou issus de l’expérience du terrain, chacun apportant sa pierre à l’édifice et sa plus-value à mon département que j’aime savoir diversifié, en termes de profils.


Rodolphe: Qu’est ce que tu retires de cette formation de l’extrême à Saint-Cyr, entre les stages commandos et parachutistes ou ceux en haute montagne ou en forêt équatoriale ?

Anne Clotis: Je retiens la rusticité, la persévérance, l’endurance, le goût de l’effort, mais aussi les mises en situation fréquentes avec la bonne dose d’humilité et de sobriété requises.
Je garde aussi cette place maîtresse faite à la ressource humaine au sein d’un système.
Je retiens une histoire, une identité, un esprit d’audace et un courage, une certaine forme de sérénité dans la décision, qui avait préalablement été nourrie des analyses issues de l’environnement.
De mes trois années saint-cyriennes je garde enfin en moi de manière très fortement marquée cet esprit fraternel, « de corps », cette cohésion et cette confiance jamais démenties, une fois que les preuves avaient, bien sûr, été faites dans l’action.

Rodolphe: Quel est pour toi le meilleur outil de management militaire que tu utilises maintenant dans le civil ?

Anne Clotis: La rigueur de tous les instants (briefings puis débriefings sans concession) mêlée d’une humanité et d’une bienveillance sans faille. J’aime encadrer avec proximité, humanité, écoute et attention portée à mes collaborateurs. J’attends de mes leaders qu’ils se comportent comme des « servant leader » , au service d’une cause, d’un objectif et de leurs hommes. Je donne le cadre favorable à leurs actions et à l’atteinte commune des objectifs. C’est uniquement à ces conditions que je peux créer des échanges et du lien, propices à la confiance et à la performance. Il m’a certes fallu, pour ce faire, acquérir une bonne dose de confiance en moi et une encore plus forte dose d’humilité.

Rodolphe: Est-ce que tu as un exemple concret de situation difficile qui pourrait être un exemple intéressant pour les lecteurs de Mon Capitaine ?

Anne Clotis: En 2004, notre promotion de St Cyr partait au stage en montagne à Barcelonnette deux mois seulement après la promotion précédente qui avait eu à subir la perte de deux élèves officiers à 2500m d’altitude lors de ce stage d’aguerrissement. C’était la première confrontation à la réalité des décès en opération même si cela restait de la formation et de l’aguerrissement. Plusieurs autres élèves officiers de cette promotion endeuillée que je côtoyais avaient été choqués et gardaient des séquelles de cette nuit de tempête.


Il nous fallait pourtant partir. Je rentrais d’un semestre d’études à Sciences Po Paris, car j’avais eu la chance de faire partie des six premiers binômés avec cette belle école. Autant dire que nous n’avions pas eu l’entrainement physique et l’endurance des collègues de promotion qui avaient poursuivi pendant ce semestre leurs études académiques à Saint Cyr. Je ne me sentais pas en parfaite forme physique et diminuée mentalement par ce qui était arrivé à la promotion précédente. Mais il fallait partir et nous l’avons fait, avec courage et camaraderie. En mémoire de ceux qui étaient partis. Cette expérience m’a appris une certaine forme de résilience.

Rodolphe: Quel est ton secret pour atteindre tes objectifs? (Méthode ou discipline de vie)

Anne Clotis: Agir avec exemplarité, par des actions méritoires et par un engagement sans faille au service de la mission. Je ne quitte jamais de vue l’objectif…. mais n’en oublie pour autant jamais ceux qui contribuent à l’atteindre. J’aime à les valoriser… dans un esprit de stakhanovisme mesuré.

Rodolphe: Quelle est la parabole ou le proverbe que tu préfères et pourquoi?

Anne Clotis: « Après vous » : cette formule de politesse devrait être la plus belle définition de notre civilisation » (Emmanuel Levinas)

Après 6 ans au sein de l’armée de terre à être formée pour servir la nation, j’aime à présent être au service des autres ce qui me permet de me confronter à différents modes de pensée et de faire tout en faisant de belles rencontres humaines.
Cette formule utilisée par l’un des philosophes qui a marqué mes études de philosophie en khâgne fait aussi référence au respect de l’autre via le respect des règles sociétales et de courtoisie qui éloignent l’agressivité infertile.
La notion d’Autrui est très importante pour moi et l’analyse de l’Autre dans son altérité, une richesse.

Rodolphe: Est-ce que tu as des règles précises que tu appliques au travail ?

Anne Clotis: L’une de mes règles est d’ avoir le courage intellectuel de porter mes décisions avec authenticité et réflexivité. J’ai pour idée qu’il faut ,pour ce faire, de l’audace, mais aussi tout le courage de l’introspection, de la remise en cause. Cela m’amène certainement à sortir du conformisme dans mon mode d’action et de management.

L’une de mes autres règles est de déranger mes propres certitudes, afin d’être à même de prévoir les cas non conformes, avec pragmatisme et empirisme.
Je perçois ma vision de décideur comme étant ce qui doit me permettre de regarder au-dessus des obstacles et de visualiser le chemin à parcourir, étape par étape, avec le discernement nécessairement nourri du contexte et de l’environnement ; condition indispensable à toute décision éclairée.

J’ai ensuite pour règle de traduire, du mieux que je le peux, clairement ma pensée pour que mon « Je Veux » soit facilement compris puis déclinable par les acteurs qui vont réaliser la mission. Je suis là pour leur donner le cadre, à eux de se réaliser à l’intérieur, au service des objectifs.

Enfin, la dernière règle, utilisée pour appliquer un principe de neutralité est de me désintéresser vivement des luttes d’influence qui naissent forcément dans un entourage professionnel. Je fais en sorte que mon processus de décision ait été passé au filtre de tout ce qui est étranger à l’atteinte du résultat. J’ai à coeur de me connaître, en tant que personne et en tant que femme, d’acquérir toujours plus avant une capacité de résilience afin de capitaliser pleinement sur mes forces et de continuer d’apprendre, sans répit, de mes faiblesses.

Rodolphe: Est-ce que tu as un rituel qui permet à tes collaborateurs de mieux te connaître et identifier des signaux de management ?

Anne Clotis: Mon rituel est celui du matin lorsque je passe dans mes différents services pour « saluer les troupes », partager un moment avec eux ou simplement dire « Bonjour ». Je systématise ce moment pour mes chefs de service, mais aime aussi à rencontrer chacun de mes collaborateurs et à passer un peu de temps avec eux même si cela n’est pas toujours possible.
Ce rituel me permet de prendre la température, de libérer la parole parfois dès le matin chez un collaborateur qui en fait la demande, afin qu’il se sente libéré et prêt pour les actions de la journée.

Rodolphe: Quel est ton meilleur outil d’organisation personnelle?

Anne Clotis: Ne jamais perdre de vue mes objectifs, séquencer mes journées et mes semaines pour que chaque objectif ait eu un « droit de visite » sans être oublié. Toujours avoir un jeu d’avance sur ce que je vais traiter après le sujet en cours. Tout faire avancer de front en consacrant cependant le temps nécessaire aux missions plus complexes.

Rodolphe: Ton métier est très axé sur la communication. Est ce que tu as un conseil à donner dans ce domaine ?

Anne Clotis: Rester authentique en toutes circonstances. Ne pas être un publicitaire de sa propre personne. Habiter sa fonction et non pas n’en proposer que l’apparence. Ne pas faire image ou spectacle de soi-même, mais être vrai, dans la juste mesure.

Dans la réalité de la mission ou dans celle des stages commando… less is more.

Rodolphe: Le mot de la fin. Si tu as un message à laisser aux lecteurs de Mon Capitaine, c’est le moment.

Anne Clotis: On apprend de tout enseignement. Il faut juste s’autoriser à en appliquer les contours dans son management au quotidien.

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