Découvrez l’interview de Sébastien qui a réussi Saint-Cyr en candidat libre et a quelques conseils de commandement à partager.
Il nous livre quelques pépites de son expérience du commandement.
Sébastien a réussi le concours de Saint Cyr en candidat libre.
Rien que cette anecdote nous donne envie de connaître sa vision des choses.
Bonjour Sébastien, et merci d’avoir accepté cet entretien.
Peux-tu te présenter succinctement: parcours institutionnel et opérationnel, passions et hobbies… ?
Je m’appelle Sébastien, j’ai 30 ans, je suis capitaine dans l’armée de terre. Après deux ans de classes prépa (hypokhâgne et khâgne) et un an pendant lequel j’ai fait divers petits boulots et un peu voyagé, j’ai réussi Saint-Cyr en candidat libre en 2005. Depuis mon arrivée en régiment, j’ai servi au Liban et au Mali, à des postes de commandement et en état-major opérationnel. Marié, père de famille, je pratique le Systema, un sport de combat russe, et j’essaie de garder l’esprit ouvert en m’intéressant aux langues étrangères, aux relations internationales, à l’histoire de l’art et à la civilisation japonaise.
Quel est l’événement le plus marquant de ta carrière en termes de commandement?
Plusieurs événements m’ont particulièrement marqué, pour des raisons différentes.
J’en retiendrai deux.
En termes de commandement pur, je garde un souvenir très fort de ce stage dont j’ai reçu la responsabilité.
Il s’agissait de former 30 jeunes chefs d’équipe militaires. J’ai été désigné chef de section de cette formation générale élémentaire. J’avais 27 ans.
Pendant cette période de trois mois, J’ai eu une liberté d’action totale. Je faisais ce que je voulais au sein de ce stage dans la mesure où je respectais le programme.
Liberté totale du chef avec « rendez-vous sur objectif »
Une excellente ambiance au sein de l’encadrement. Voir les jeunes soldats grandir. C’est une grande satisfaction. Aujourd’hui, les meilleurs sont devenus sous-officiers BSTAT* sous mes ordres, cohésion dans la souffrance, autant de choses que j’étais venu chercher dans l’armée. En point d’orgue, le raid final avec « test du dispositif » d’une base très solidement gardée, dans laquelle nous avons réussi à entrer, à force de « caisses à sable » nocturnes, de répétitions, de cas non conformes…et tout ça avec des jeunes soldats de 20 ans, qui pour un certain nombre avaient arrêté l’école en troisième !
L’autre événement auquel je pense est le cas d’une jeune femme, militaire du rang, placée sous mes ordres lorsque j’assurais la suppléance de mon CDU. Elle s’est présentée un soir, tard, pour me dire qu’elle était enceinte d’un pauvre type qu’elle avait rencontré dans une soirée, chômeur, drogué, bon à rien. Elle voulait avorter. Des histoires comme ça, il en arrive souvent chez nos soldats, mais quand c’est une femme, je trouve cela particulièrement poignant. Je l’ai gardée presque deux heures dans mon bureau : en dehors de toute considération philosophique ou religieuse, je trouvais terrible qu’elle se prépare à tuer son enfant parce qu’elle regrettait cette relation sans avenir. Je lui ai dit « ton enfant n’a rien demandé, laisse-toi une chance d’être fière de ton rôle de mère ». Elle a accouché, le père est parti. Elle est venue m’apporter un faire-part et me remercier, les yeux dans les yeux, du conseil que je lui avais donné. Elle sert toujours sous mes ordres et c’est, à ce jour, ma plus belle réussite humaine en tant que chef.
Quels conseils en organisation basique de son travail au quotidien donnerais tu à un jeune chef?
D’abord la préparation mentale : un jeune chef est légitime pour faire son job, il est capable d’atteindre tous ses objectifs. Il ne peut pas être bon s’il n’a pas pleinement confiance en lui et en ses capacités (à différencier de la présomption ou de l’excès de confiance bien sûr)
Ensuite les outils : prendre un peu de temps pour consolider des outils durables, sans réinventer « la machine à courber les bananes » à chaque échéance. Tes trois premiers bonus, par exemple, sont une excellente base de travail.
Enfin, quand on est organisé, on court le risque d’ossifier son travail. J’entends par là l’établissement de procédures, la routine, le réflexe de se raccrocher à du connu, ce qui fait perdre en souplesse et en réactivité. On en revient au mental : l’administratif n’est pas une béquille. Le chef est le chef parce qu’il a la hauteur de vue et la souplesse d’esprit nécessaire pour aborder chaque cas différemment.
Conseils concrets :
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gabarits schématiques (modulaires) pour tout (notes de service, tableur pour le suivi du personnel, cahier d’ordres),
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utilisation d’outils qui sont vraiment utiles (personnellement, j’ai un cahier pour les réunions, un agenda papier pour les échéances qu’on m’envoie à la volée, et un petit carnet que j’ai toujours sur moi pour noter des idées, des choses entendues sur lesquelles je veux me renseigner, etc.),
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utilisation fine d’Outlook (archivage/alertes/planning etc.)
Quels sont les meilleurs conseils en commandement que tu donnerais à un jeune chef? (2 ou 3 conseils)
Conseil n° 1 : « Être soi-même, pesamment » : c’est une formule de mon grand-père. Ça dit bien ce que ça veut dire, mais je dirais en termes modernes :
se connaître parfaitement (qualités, défauts, l’image que l’on donne, sur quoi on peut progresser etc.),
(« je suis qui je suis, je le vis bien et je n’ai pas à m’en excuser »)
ne pas jouer un rôle (défaut typique des jeunes diplômés militaires ou civils, qui s’imaginent que « c’est comme ça qu’on doit se comporter quand on est à tel poste », et qu’en respectant une caricature en 2D, ils seront de bons chefs ou managers) (ce qu’Hélie de Saint-Marc appelait « se sculpter une statue en plâtre »)
Conseil n°2 : Sembler prévisible (transparence, ou plutôt translucidité…)
On nous le dit à l’école, mieux vaut une mauvaise décision que pas de décision du tout. Les gens qui travaillent sous nos ordres ou pour nous doivent savoir sur quel pied danser. Ça rejoint l’authenticité en quelque sorte. Nos hommes doivent pouvoir se dire « je le connais par cœur, je sais que si je fais ça il va faire ça ». Ce n’est pas toujours vrai, mais avec une personnalité congruente, on a toujours des réactions sincères, qui sont, du coup, souvent faciles à anticiper. Cela rassure ceux qui sont sous nos ordres, mais cela ne doit pas nous empêcher de savoir-être non conformes
Conseil n°3 : cercle vertueux efficacité-décontraction
Quelle est la marque des très grands chefs modernes, des unités d’exception modernes ? À mon sens c’est ce cercle vertueux. Se concentrer à fond sur la mission, faire les choses dans le moindre détail, être très exigeant, mais avec le sourire, en restant calme, en faisant croire que c’est facile. Je suis intimement convaincu qu’on ne peut pas être efficace si on n’est pas détendu, et qu’on ne peut pas être vraiment détendu si l’on n’a pas la certitude d’être ou d’avoir été efficace. Le systema s’appuie sur ce concept également : c’est le relâchement du corps et l’acceptation de la situation présente par l’esprit qui rendent les frappes dévastatrices…
Quels sont les meilleurs conseils opérationnels que tu donnerais à un jeune chef? (2 ou 3 conseils)
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Anticiper toutes les échéances (voir le plus loin possible)
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Être ici et maintenant (ne pas rêver, ne pas penser à autre chose)
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Penser d’abord aux autres (côté ennemi/adversaire : se mettre à la place de l’ennemi ; côté ami : se mettre à la place de ses subordonnés, évaluer leur mental et leurs conditions de vie).
Qu’est-ce qui, dans l’art du commandement militaire, peut, selon toi, le plus servir dans le civil?
Être le chef 24/24 (ce qui n’est pas le cas dans le civil) : joignable hors service, être leader aussi bien au bureau que sur le terrain, sur un PO, au restaurant, en opération, etc.
L’habitude de la hiérarchie et du formalisme, qui rendent les actions plus rapides et les règlements de compte plus francs.
Le goût de l’exigence personnelle et de l’exemplarité, que le top management civil n’a pas toujours…
Quel est le personnage historique qui te plait le plus et pourquoi?
Il y en a beaucoup !
Dans l’ordre historique (et après avoir supprimé ceux qui sont déjà très connus : Napoléon, Alexandre…), je dirais Blaise de Monluc et Ernst Jünger. Monluc parce qu’il a tout connu de la guerre, et pensé la guerre en soldat, en philosophe et en gentilhomme (ses « Commentaires », en fait ses Mémoires, sont une mine de bon sens, de conseils pratiques, et à la fois de réflexions très profondes). Jünger parce que c’est un homme complet selon la vieille tradition européenne : officier de commandos et héros de la guerre, écrivain onirique et mystique, entomologiste découvreur de nouvelles espèces, observateur lucide du destin de son pays.
Quelles sont tes citations préférées ?
Sur le but de la vie : « Ce qui importe n’est pas que nous vivions, mais qu’il redevienne possible de mener dans le monde une vie de grand style et selon de grands critères. On y parvient en aiguisant ses exigences » (Ernst Jünger).
Et pour terminer: Quelle est l’anecdote qui te plait le plus… et pourquoi?
Une anecdote que j’aime beaucoup, parce qu’elle montre avec ironie que l’on peut prendre son destin en main, est celle d’Alexandre le Grand qui voulait interroger la Pythie de Delphes pour connaître son avenir. Trouvant qu’elle mettait trop de temps à rejoindre son siège, il la saisit par son manteau et la souleva de terre. La Pythie lui dit « on ne peut te résister », et Alexandre le Grand, la laissant tomber par terre, lui répondit : « Cette prédiction me suffit ».